OGM : Pas d'apparition d'une résistance à Bt chez les insectes ?
Professeur Joe Cummins, I.S.P. � e-mail : [email protected]
19 décembre 2003
L' ISP = �Independent Science Panel� ou �Jury pour une science indépendante�, est constitué d'un ensemble de scientifiques impliqués dans de nombreuses disciplines et qui sont engagés dans la Promotion de la Science pour le Bien Public. Pour lire leur objet statutaire, tapez ici
Le Professeur Joe Cummins remet en cause des rapports scientifiques selon lesquels il n'y aurait pas encore eu d'apparition d'une résistance aux toxines Bt chez les insectes [depuis la dissémination dans les cultures nord-américaines de plantes génétiquement modifiées pour leur conférer une résistance vis-à-vis de certains insectes].
Note du traducteur : les nombres entre parenthèses (..) renvoient aux références bibliographiques qui sont données à la fin de ce texte. Les parties de texte figurant entre crochets [..] sont ajoutées pour permettre une lecture plus facile à l'intention des francophones.
Dans le monde entier, plus de 62 millions de hectares ont été mis emblavés avec des semences de cultivars issus de plantes génétiquement modifiées, porteuses de gènes synthétisant des toxines Bt et provenant d'une bactérie du sol Bacillus thuringiensis. Les partisans [du développement agronomique et commercial de ces relativement nouvelles biotechnologies] ont exprimé leur heureuse surprise après avoir constaté qu'il ne semble pas, [qu'à ces dates], des insectes résistants aux toxines Bt aient fait leur apparition (1,2). Mais ce n'est pas aussi simple que cela paraît au premier abord.
Les toxines Bt ne représentent pas un produit d'un simple gène unique, mais elles sont le résultat des produits de différents gènes, dont des variantes sont présentes dans différentes souches de la bactérie. La bactérie Bacillus thuringiensis est assez commune dans les sols et dans les milieux humides, mais les souches capables d'exercer un contrôle efficace sur des insectes sont rares et d'un grand intérêt.
Des souches contenant les toxines caractéristiques sont définies par leur type : israelensis (Bti), kurstaki (Btk), azaiwai (Bta), tenbrionis (Btt), sotto (Bts) et entomocidus (Bte), etc... Ces souches ont des propriétés bien spécifiques pour le contrôle des insectes appartenant aux ordres suivants : Lépidoptères, Diptères ou Coléoptères. Les différentes protéines isolées et présentant des effets de toxine sur les insectes sont indiquées par le code CryI, CryII, CryIII ou CryIV, mais chacune de ces dernières catégories peut exiger davantage de moyens d'identification du fait de la différence de séquences mineures qui peuvent se rencontrer. Par exemple, une toxine peut être désignée par CryIA(b), CryIIIA, CryIVD, etc. (3).
Les gènes [codant pour ces types de toxines actives sur les insectes] introduits [par transgénèse ] dans une plante cultivée, sont généralement modifiés de façon à augmenter leur activité et leur efficacité. Quelques codons sont modifiés [dans les séquences génétiques] pour tenir compte de ceux qui fonctionnent le mieux chez les plantes par rapport à ceux qui sont communs chez les bactéries. Habituellement, un intron est introduit dans le gène bactérien pour augmenter la translocation rapide du noyau vers le cytoplasme chez le végétal. Des exemples des modifications [dans la séquence génétique] des gènes de type Cry , dans le but d'augmenter leur activité, sont inclus dans les brevets (4,5).
L'acquisition d'une résistance chez les insectes à des toxines Cry particulières apparaît limitée, tout comme la résistance croisée . La résistance est le plus fréquemment due à des gènes nucléaires, plutôt qu'à des gènes cytoplasmiques codés dans les mitochondries et dans les chloroplastes. La résistance peut être récessive : elle nécessite alors deux copies de l'allèle (variant d'un gène) de résistance, pour assurer une protection contre un toxine Bt ; si elle apparaît comme dominante, une seule copie de l'allèle de résistance est requise pour assurer une protection complète vis-à-vis d'une toxine Bt ; enfin la résistance est incomplètement récessive lorsque une seule copie de l'allèle en question produit une protection partielle. Dans des cas d'allèles récessifs incomplets, ceux-ci peuvent apparaître récessifs à de hautes concentrations de toxines, mais ils peuvent également se comporter comme dominants lorsque le niveau de la toxine diminue (6,7) ; [travaux sur les chenilles du coton �pink bollworms' = Pectinophora (Platyedra) gossypiella ].
La spécificité de la résistance à la toxine de Bt est démontrée dans des expériences de laboratoire avec une chenille du coton [ Helicoverpa armigera ]. Les noctuelles résistantes prospèrent aussi bien avec un régime contenant Cry qu'avec un régime réalisé à partir de coton génétiquement modifié avec un gène producteur de Cry1Ac. Mais cette noctuelle résistante se montrait sensible aux spécialités commerciales de spores Bt �Dipel' et �XenTari', qui contiennent des toxines multiples. La noctuelle était résistante à Cry1Ab mais pas à CryAa ou à CryAb (8).
Ainsi, bien que des millions d'hectares aient été implantés avec des semences de plantes Bt, la cible pour développer une résistance à Bt est beaucoup plus petite parce qu'il y a beaucoup de toxines de Bt différentes auxquelles les insectes doivent développer la résistance de façon indépendante. En théorie, une résistance dévastatrice à toutes les toxines Bt pourrait se produire, mais ceci n'a pas été encore observé au niveau du laboratoire ou lors d'expériences sur le terrain. Un mutant Cry1Ac, résistant non-récessif à la noctuelle du tabac, a montré une résistance croisée à une large gamme de toxines Bt (9), mais de telles mutations sont peu fréquentes.
Comme il a été mentionné ci-dessus (1,2), il n'y a eu aucune manifestation de parasites résistants dans des cultures de plantes Bt, bien qu'on ait observé de telles manifestations dans les populations de chenilles �diamond back moth' traitées chimiquement et beaucoup d'expériences de laboratoire ont produit les insectes résistants à Bt (10).
Les toxines Bt agissent sur les insectes en se liant à des sites des membranes cellulaires au niveau de l'intestin moyen et perturbent ainsi la structure de ces membranes. Une mutation importante chez la chenille du coton, devenue résistante, implique les cadhérines , une famille de protéines d'adhérence qui lient ensemble les cellules vivantes, empêchant de ce fait la désagrégation des cellules de l'intestin (10). Récemment, des allèles incomplètement récessifs de Cry1Ac et de CryAa ont été identifiés dans des chenilles [ Helicoverpa zea ] au cours d'expérimentations sur les cultures de coton Bt (11). Apparemment, en conclusion, il n'a pas été considéré que cela puisse être une manifestation d'un contournement de la résistance, quoique ceci pourrait en être le début.
Pour se prémunir contre les dangers d'une menace imminente de manifestations de résistance, les officiels chargés de la réglementation ont présenté la stratégie des 'zones refuges', c'est à dire la mise en place de cultures non-Bt pour empêcher ou ralentir l'évolution vers une résistance non souhaitable.
La stratégie des 'zones refuges' est fondée sur l'hypothèse que la résistance sera récessive, et qu'ainsi les individus hétérozygotes sensibles mourront après avoir consommé des plantes Bt. Mais si la mutation s'avérait dominante ou incomplètement récessive, la résistance apparue se propagerait en dépit de ces 'zones refuges'.
Des essais réalisés sous serre ont prouvé que le refuge pouvait empêcher la diffusion des mutants résistants si on le maintenait dans un ensemble de plantes non-Bt groupées, plutôt que comme une culture en mélange des plantes Bt et non-Bt (12). Les fonctionnaires en charge de la réglementation en Amérique du Nord ont fixé le minimum de plantes non-Bt à 20% [du total de la surface cultivée] pour la parcelle refuge.
L'introduction du refuge a abouti au fait que les agriculteurs devaient traiter cette partie de 20% de leurs cultures qui risquaient d'être infestées, ainsi la réglementation a autorisé le traitement insecticide de ces 'zones refuges'. Dans un document explicatif élaboré par l'Agence de protection de l'Environnement [EPA] et le Département Américain de l'Agriculture [USDA] il est dit que (13), "dans des régions productrices de maïs (sans aucun coton), les producteurs doivent semer un minimum de 20% des surfaces avec des semences non-Bt, afin de servir de 'zones refuges'. Dans des zones de production où des insectes nuisibles *** ont déjà été observés à des taux élevés, des traitements insecticides des refuges doivent être envisagés."
*** (European corn borer = ECB ou [ Ostrinia (Pyrausta) nubilalis ], Southwestern corn borer = SBCB, Corn earworm = Bollworms ou [ Heliothis zea in the New World and Heliothis armigera in the Old World], ou d'autres chenilles parasites de la famille des Lépidoptères).
Des chercheurs universitaires ont usé de leur autorité pour affirmer que la protection par des traitements insecticides chimiques sur les 'zones refuges' était nécessaire pour se prémunir contre l'émergence d'une résistance possible [chez les insectes] (14,15).
Cependant, il semble clair que les personnes chargées de la réglementation, non seulement permettent, mais encouragent fortement la pulvérisation d'insecticides, et non pas simplement sur les 'zones refuges', mais carrément sur la culture entière (13). La stratégie des refuges est vraiment une stratégie de « la double poisse » ! Et de plus, la pulvérisation de pesticides est à peine mentionnée dans les documents des instances officielles favorisant les 'zones refuges' (16), ou dans les nombreuses publications scientifiques qui se rapportent à la gestion de résistance ou encore par rapport à l'absence "miraculeuse" d'un contournement de la résistance à Bt.
Le fait qu'il n'a été rapporté aucune manifestation d'un tel contournement et de l'apparition d'insectes résistants de Bt dans les millions de hectares de cultures de plantes Bt génétiquement modifiées, peut bien être dû à deux facteurs principaux qui ont été oubliés ou négligés. Le premier réside dans les nombreux allèles Bt spécifiques qui ont été utilisés dans les cultures Bt, et la seconde est le déploiement simultané des pulvérisations d'insecticides chimiques aussi bien dans ces 'zones refuges' que sur les cultures de plantes Bt elles-mêmes.
Références bibliographiques
- Tabashnik B, Carriere T, Denneity T, Morin S, Sisterson M, Roush R, Shelton A and Zhao J. Insect resistance to transgenic BT crops : Lessons from the laboratory and field. J Econ Entomol 2003, 96, 1031-8.
- Fox J. Resistance to Bt toxin surprisingly absent from pests. Nature Biotech 2003, 21,458-9.
- Bauer L. Resistance: A threat to the insecticidal crystal proteins of Bacillus thuringiensis . Florida entomologist 1995, vol.78, 414-44
- Baum J, Gilmer A and Mettus A. Lepidopteran resistant transgenic plants. United States Patent 2001, 6,313,378B1 pp1-151
- Carrozi N, Rabe S, Miles P, Waren G, and DeHaan P. "Novel insecticidal toxins derived from Bacillus thuringiensis insecticidal crystal proteins. World Intelectual Property Organization 2002, WO02/15701 A2 pp1-130.
- Liu Y, Tabashnik B, Meyer S, Carriere Y and Bartlett A. Genetics of Pink Bollworm resistance to Bacillus thuringiensis toxin Cry1Ac. J Econ Entomol 2001, 94, 248-52.
- Tabashnik B, Liu Y, Dennehy T, Sims M, Sisterson M, Biggs R and Carriere Y Inheritance of resistance to Bt toxin Cry 1Ac in a field derived strain of pink bollworm (Lepidoptera:Gelechiidae). J Econ Entomol 2002, 95,1018-26.
- Akhurst R, James W, Bird L, and Beard C. Resistance to the Cry 1 Ac delta endotoxin of Bacillus thuringiensis in the cotton bollworm, Helicoverpa armigera (Lepidoptera: Noctuidae). J. Econ Entomol 2003, 96,1290-9.
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- Morin S, Bigs R, Sisterson M et al. Three cadherin alleles associated with resistance to Bacillus thuringiensis in pink bollworm" PNAS 2003, 100, 5004-9.
- Burd A, Gould F, Bradley J, VanDuyn J and Moar W. Estimated frequency of non recessive Bt resistance genes in Bollworm, Helicoverpa zea (Boddie) (Lepidoptera:Notuidae) in eastern North Carolina , J Econ Entomol 2003, 96,137-42.
- Tang J, Collins H, Metz E, Earle E, Zhoa J, Roush R. and Shelton A. Greenhouse tests on resistance management of Bt transgenic plants using refuge strategies. J Econ Entomol 2001, 94,240-7.
- EPA and USDA Position Paper "EPA and USDA position on resistance management" 1999 http://www.mindfully.org/GE/EPA-USDA-Position-27may99.htm
- Ives A and Andow D. Evolution of resistance to Bt crops: directional selection in structured environments. Ecology Letters 2002, 5,792-801.
- Onstad D, Guse C, Porter P, Ruschman L, Higgins R, Sloderbeck P, Peairs (spelling?OK) F and Cronholm G. Modeling the development of resistance by stalk boring Lepidopteran Insects (Crambidae) in areas with transgenic corn and frequent pesticide use. J Econ Entomol 2003, 95,1033-43
- Macdonald P and Yarrow S. Regulation of Bt crops in Canada . J Invertebrate Pathology 2003, 83, 93-9.
Rappel de quelques définitions et compléments sur ce sujet :
Bt : voir toxine Bt.
Cry : voir toxine Bt.
Cadhérines : une famille de molécules qui assurent l'adhésion des cellules et qui sont dépendantes du calcium. Elles jouent un rôle important dans la morphogenèse de l'embryon et dans la mise en place des tissus vivants. Elles modulent une grande variété de processus intracellulaires comme la polarisation et la migration. Elles peuvent également être impliquées dans le contrôle de l'espacement intercellulaire. Pour plus de détails, l'on peut se reporter aux sites suivants en anglais :
http://www.mrc-lmb.cam.ac.uk/genomes/Cadherins/cad_web_pages et
http://pfam.wustl.edu/cgi-bin/getdesc?acc=PF00028
Cultivar : un ensemble de plantes cultivées dans les conditions agronomiques et économiques. Il constitue une variété définie officiellement par des critères de distinction (par rapport aux autre variétés), d'homogénéité (les plantes doivent être semblables en première approximation et dans une plage de variation définie) et de stabilité (les caractères doivent se maintenir au cours des différents cycles de reproduction par semences ou par multiplication végétative).
Intron : |
Intron : c 'est une fraction non codante d'un gène. Chez les organismes supérieurs ( eucaryotes ), les gènes qui codent pour des protéines sont constitués d'une suite d' exons et d' introns alternés. Un intron est une séquence génétique située entre deux exons. Après la transcription , l' ARN synthétisé va subir un certain nombre de modifications dont l' épissage au cours duquel, les introns vont être excisés de l' ARN et les exons vont être mis bout à bout pour donner l' ARN mature. Les introns ne jouent donc aucun rôle dans la suite du devenir de l' ARN ( protéine pour l'ARNm, ribosome pour l'ARNr, traduction ARNt). La fonction des introns reste encore méconnue à ce jour. Informations en partie récupérées de http://fr.wikipedia.org/wiki/Intron |
OGM : O rganismes G énétiquement M odifiés (on dit également transformés ou manipulés ou transgéniques ). Nom donné à un être vivant issu d'une cellule dans laquelle a été introduit un fragment d'ADN recombiné, étranger. L'individu OGM qui en résulte, possède dans toutes ses cellules l'ADN recombiné étranger introduit au départ et intégré dans son patrimoine génétique.
Résistance : c'est un phénomène d'origine génétique qui consiste en une diminution de la sensibilité d'une population d'insectes à un insecticide donné. Pour de plus amples informations, l'on peut se référer à une publication le l'Institut National Agronomique Paris-Grignon en consultant :
http://www.inapg.inra.fr/ens_rech/bio/biotech/textes/applicat/agricult/vegetale/protcult/entomo98/gp1/btpart4.htm
Résistance croisée : une réaction qui peut survenir chez un être vivant lorsque la résistance vis-à-vis de deux ou plusieurs matières actives est déterminée par le même gène. Elle apparaît la plupart du temps entre matières actives dont la structure chimique est voisine et/ou qui ont des modes d'action similaires. La résistance croisée d'un virus ou d'un agent pathogène vivant à une matière active donnée, peut survenir également à la suite d'une ou de plusieurs mutations adaptatives qui rendent l'organisme insensible ou résistant à d'autres molécules, même s'il n'a pas été confronté à celles-ci auparavant.
Toxine Bt : Bacillus thuringiensis est une bactérie du sol qui produit de grandes quantités d'une substance toxique pour les insectes : la protéine "crystal" (Cry) ou toxine Bt . Pour de plus amples informations sur les plantes Bt , l'on peut se reporter à la note de J. Gaffé, Maître de Conférences à l'Université Joseph Fourier en consultant : http://www.ujf-grenoble.fr/PDC/OGM/protection2
Transgénèse ou transformation ou manipulation ou modification génétique = ensemble de manipulations qui consistent à intégrer de l'ADN recombiné d'origine(s) diverse(s) dans du matériel vivant receveur pour donner naissance à un organisme génétiquement modifié ou OGM .
Traduction, rappel de quelques définitions et compléments :
Jacques Hallard, Ing.CNAM, consultant indépendant
Adresse : 2240 chemin du Tilleul, F.13160 Châteaurenard
Courriel : [email protected]
Fichier: OGM ISP No Bt Resistance.rtf
L'article original en anglais peut-être consulté par les membres de l'ISP sur le site suivant :
https://www.indsp.org/nobtresistance.php
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